Apéros Politiques du 97 : Histoire et méthode

Origines et déroulement des Apéros politiques du 97


Une méthodologie pour se reparler — à partir du sensible, du vécu, du silence aussi 

C’est venu d’un trouble. Quelque chose s’est déplacé en moi, en juin 2024, face à une violence muette qui montait dans l’air. Dans les rues, les réunions, les échanges informels, je ne reconnaissais plus les voix. Ou plutôt : je n’entendais plus rien qui ressemble à une écoute. Comme si chaque parole ne faisait que percuter un mur, provoquer un affrontement, déclencher la riposte. Le tissu social me paraissait lacéré, tendu au point de craquer. Je me suis demandé ce qu’on pouvait encore faire, là, à notre échelle, pour raviver un espace où la parole puisse simplement circuler — sans se défendre, sans convaincre, sans fuir.

C’est dans cet état de perception accrue que j’ai croisé Fabrice Dalongeville et Hélène Desplanques. Ils parlaient de leur film, Les Doléances. Le titre seul disait déjà beaucoup. J’ai regardé le film. J’ai été touchée. Non pas d’une émotion passagère, mais d’un point de contact avec ce que j’avais moi-même éprouvé sans encore parvenir à le dire. Le film portait la voix d’anonymes, recueillait l’expression brute d’un peuple en désarroi, et laissait cette parole résonner. C’est cette résonance que j’ai voulu transmettre. J’ai contacté la société Production 13 pour acquérir les droits de diffusion. Puis j’ai proposé une projection au Tiers-Lieu Le 97, en lien avec la Maison de l’Image et de la Photographie. Non comme un événement culturel, mais comme une tentative : celle d’ouvrir un espace où, à partir de ce qui touche, on puisse de nouveau parler entre nous.

Un peu plus tard, j’ai rencontré le député de ma circonscription. À la faveur d’une conversation simple, j’ai abordé avec lui la question des cahiers d’expression citoyenne issus du Grand Débat. Ces cahiers, je les voyais comme des archives vivantes, mais figées, comme si ces paroles, une fois déposées, étaient restées sans destinataire. C’est en discutant avec lui qu’une idée s’est imposée : ne pas seulement mettre en ligne ces cahiers ou les archiver, mais en prolonger la vie — en créer une adresse collective. Faire de ces mots un point de départ, et non une fin. C’est ainsi que sont nés les Apéros Politiques du 97.

Le geste : ouvrir un espace de parole situé

Le cycle s’est construit comme une tentative fragile mais insistante : rouvrir une scène de parole dans le quartier Battant, à Besançon. Huit rencontres, une par mois, pour explorer les grandes thématiques issues de l’analyse des cahiers du Grand Débat. Non pas pour débattre, argumenter ou convaincre, mais pour dire depuis soi, partager un constat, croiser les vécus, sentir ce qui se joue, ce qui se répète, ce qui échappe.

La politique ici ne se conçoit pas comme un objet réservé aux spécialistes, ni comme une joute d’opinions. Elle redevient ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : un art du lien, une attention portée au vivre-ensemble, une élaboration collective de ce qui nous affecte.

Chaque séance est volontairement limitée à vingt personnes, pour que la parole puisse réellement circuler, être accueillie, soutenue. Chacun·e est invité·e à parler depuis son expérience, en « je », sans jugement, sans interprétation de la parole d’un autre, sans projection. Ici, on ne commence pas par “un tel a dit que…”, on ne parle pas à la place de… : on parle de soi, et uniquement de soi, de ce que la thématique du jour vient toucher dans sa propre vie.

Les autres écoutent. Pleinement. La parole est reçue sans couper, sans répondre immédiatement. On rebondit après, si l’on souhaite, mais toujours depuis son propre point d’impact. Et quand on parle, on prend le temps de dire, puis de signaler que l’on a terminé — pas pour refermer, mais pour que l’autre puisse entendre que c’est à lui·elle, maintenant, s’il ou elle le souhaite. Ce rythme-là est précieux. Il crée un espace rare où l’écoute devient une forme de soin, et la parole une traversée, pas une performance.


Une méthode traversée par l’expérience

Initialement, chaque séance s’organisait en trois temps :

  1. Accord sur les constats partagés – à partir des vécus.
  2. Tour d’horizon des initiatives existantes et des lois en vigueur.
  3. Élaboration de propositions concrètes.

Mais dès la première rencontre, il a fallu réajuster. Le troisième temps, celui des solutions, s’est révélé trop ambitieux pour un cadre de deux heures. Nous avons choisi de le suspendre, sans le forcer, pour nous concentrer sur les deux premiers temps : ce que chacun·e vit, et ce que nous pouvons reconnaître comme déjà là autour de nous. Ce déplacement méthodologique a permis de mieux tenir l’espace, de ne pas précipiter l’élaboration là où la parole avait encore besoin de s’ancrer.


Une suite, comme un prolongement organique

Deux séances complémentaires ont été proposées à la fin du cycle initial. La première, en juin 2025, pour tenter de dégager des enjeux collectifs et des actions pragmatiques à partir des constats partagés. La seconde, en juillet, pour travailler l’adressage : à qui voulons-nous faire entendre ce travail ? Quelles formes lui donner ? Par quels canaux porter ces paroles, sans les figer, sans les récupérer ?


Une expérience située, libre, partageable

Les Apéros Politiques du 97 sont nés d’un désir de réparer quelque chose dans le lien — pas de convaincre, pas de prouver. C’est une démarche sans modèle, sans label, sans manuel. Une invitation à habiter la politique autrement, en partant du bas, du corps, du trouble, de ce que l’on ne sait pas encore dire.

C’est une tentative, située, humble, et profondément ouverte. Et ce qui s’y est dit, partagé, éprouvé, peut être rejoué ailleurs, autrement, selon d’autres histoires, d’autres lieux, d’autres collectifs. En open source. En écoute.

Le partage d’un apéritif fait partie intégrante de la méthode. Il permet de poser une atmosphère de détente, de chaleur, d’égalité aussi — car chacun·e apporte, à sa mesure. Il ne s’agit pas nécessairement d’alcool : jus, eau, pain, fruits, tartes, tout fait lien. L’apéro, ici, n’est pas un moment à côté, c’est un seuil, un passage, une manière d’atterrir ensemble avant d’entrer dans la parole.

Car penser, vraiment penser, ensemble, demande du soin. Et ce soin commence par un verre tendu, un morceau de pain partagé, un temps suspendu. C’est là, déjà, que commence le politique.

Retrouvez un résumé de chaque séance en cliquant sur les liens ci-dessous :

➡ Séance 1 : Démocratie et citoyenneté

➡ Séance 2 : Économie et emploi

➡ Séance 3 : Éducation et formation

➡ Séance 4 : Fiscalité et dépenses publiques

➡ Séance 5 : Organisation de l'État et des services publics

➡ Séance 6 : Pouvoir d'achat

➡ Séance 7 : Transition écologique

➡ Séance 8 : Santé, solidarité et intégration


Retour sur les Apéros Politiques du 97 : Santé, solidarité et intégration